Au début de l’année 2025, le secteur du Private Equity en France affichait une confiance renouvelée. Les chiffres de 2024 avaient de quoi séduire : des levées de fonds records, des investisseurs institutionnels toujours présents et une impression de solidité. Les communiqués triomphants des acteurs de la place mettaient en avant la vitalité du marché et la capacité des sociétés de gestion françaises à rivaliser avec leurs homologues européens.
Une fragilité masquée
Pourtant, derrière cet apparent succès, certains observateurs avaient déjà noté un déséquilibre préoccupant. CLETHICA, notamment, rappelait que cette performance « en amont » — la collecte de capitaux — masquait une fragilité « en aval ». En effet, les LBO primaires, ces opérations d’acquisition qui permettent de financer la transmission d’entreprises vers un premier fonds, étaient en recul. La croissance du marché tenait essentiellement aux LBO secondaires, voire tertiaires, où des actifs déjà passés de main en main entre plusieurs fonds s’échangent à nouveau.

Problème structurel
Ce phénomène traduit un problème structurel : la difficulté croissante des fonds à identifier et capter des cibles nouvelles, capables de porter la performance de demain. En multipliant les transactions sur des actifs déjà survalorisés, le Private Equity s’expose à une usure du modèle. L’attention se porte donc sur un enjeu de positionnement : comment se différencier dans un marché saturé de capitaux mais limité en opportunités ?

Nous sommes à un moment darwinien
Le colloque de l’IPEM, tenu à Paris en septembre 2025, est venu confirmer ce diagnostic. Dans un article publié par Les Échos le 28 septembre 2025, le ton est donné : « Nous sommes à un moment darwinien ». Les gestionnaires de fonds sont confrontés à un dilemme : comment se différentier pour attirer ? Sans réponse, sans réponse acceptable, ils seront voués à disparaître, se regrouper ou se vendre. L’industrie, longtemps portée par une abondance de capitaux, doit désormais composer avec une sélectivité accrue des investisseurs, notamment des gérants de fonds de fonds, qui deviennent beaucoup plus exigeants dans leurs choix.

Une recomposition du paysage
Cette nouvelle donne entraîne une recomposition du paysage. Les fonds dits « zombies », incapables de lever de nouveaux capitaux et condamnés à gérer tant bien que mal leurs portefeuilles existants, vont se multiplier. L’émergence de ces structures fragiles marque la fin d’un cycle : l’époque où presque tout fonds pouvait espérer attirer des capitaux sans se distinguer est révolue.
Désormais, la survie passera par la capacité à cultiver des particularités tangibles. Au-delà des performances financières, les investisseurs attendent une identité claire : spécialisation sectorielle, ancrage géographique affirmé, véritable approche industrielle ou encore savoir-faire dans les transformations opérationnelles. Le Private Equity entre dans une phase où la différenciation devient une condition de légitimité

Adaptation des fonds
Pour s’adapter, les fonds devront également mieux maitriser leurs portefeuilles, afin d’identifier les gisements de valeur réels et non supposés. Ils devront apprendre à gérer leurs différences, à développer des stratégies distinctives et à rechercher la masse critique indispensable pour rester compétitifs sur des transactions de plus grande envergure. La consolidation, longtemps évoquée, pourrait s’accélérer.
En somme, la « période darwinienne » annoncée par les experts est bien ouverte, y compris en France. Comme dans la théorie de l’évolution, seuls survivront les mieux adaptés, ceux qui sauront conjuguer performance, différenciation et solidité structurelle. L’année 2025 pourrait bien marquer un tournant : la fin d’un âge d’or de l’abondance, et le début d’une ère où le Private Equity doit se réinventer pour rester une force de transformation de l’économie réelle.
